1 décembre – Projet de recherche collective
Le 1 décembre est déposé un projet de recherche collective par l’un des groupes de la fabrique du droit : Projet Réseau des MSH déposé par 3 MSH, porteurs Gilles Lhuilier et Elsa Lafaye de Micheaux
Les industries extractives face au tournant écologique : rente, stratégies, justice (Création d’un réseau scientifique et institutionnel inter MSH sur les industries extractives)
Le champ scientifique des études sur les industries extractives se recompose sous le coup de la transition écologique. Les contours scientifiques se transforment et le projet du présent réseau est de redéfinir objets, méthodes, concepts et acteurs de ce champ scientifique. La discipline du droit de l’énergie a émergé il y a trente ans en particulier en Amérique du Nord et en Australie afin de répondre au besoin de développement des entreprises transnationales dû à la complexification des régulations nationales. Depuis deux décennies, face à l’impératif de soutenabilité, porté tant par les citoyens que par les pays (Protocole de Kyoto, Accords de Paris sur le Climat), par l’Organisation des Nations unies ou par la Banque Mondiale depuis l’an 2000, les entreprises adaptent leurs processus de productions (à défaut de revoir systématiquement leurs stratégies). Entreprises-clé dans le modèle économique actuel qui dépend à 80% des énergies non-renouvelables pour couvrir ses besoins, elles ont entre temps contribué massivement à la déforestation, à l’érosion, à la perte de biodiversité, à la pollution des mers et à des pollutions locales, à l’expropriation de populations de leurs terres, et aux émissions de gaz à effet de serre. L’acceptation sociale de ces industries décline rapidement, y compris dans les pays d’Asie du Sud-Est autoritaires.
Aujourd’hui, la discipline des extractives studies, dites aussi parfois du droit extractif ou des industries extractives, émerge : ne concernant que le pétrole, le gaz et l’extraction minière, son champ peut sembler moins large que l’ancien droit de l’énergie. Il est cependant global : (a.) il se focalise sur la standardisation globale actuelle de la régulation des industries extractives et des pratiques juridiques; (b.) il inclut tous les acteurs du « monde extractif » (les entreprises transnationales, les Etats hôtes, les institutions internationales et financières, les arbitres et les avocats, les ONG, les populations locales et indigènes) ; (c.) il rassemble des juristes des cinq continents, en particulier des nouveaux continents extractifs du Sud. (d) il emprunte à un nombre important de disciplines : droit, économie, management, histoire, études aréales, anthropologie, etc.
Le « tournant écologique » dans les industries extractives a des conséquences globales. Ces entreprises extractives ayant inventé les principaux mécanismes de la mondialisation du droit et de l’économie, sont parmi les plus grandes qui soient. Certaines entreprises extractives transforment déjà leur modèle économique et de nouvelles échelles de régulation apparaissent. Les entreprises extractives devant inventer un nouveau mode de relation avec les population locales, qui pour certaines deviennent partie aux contrats extractifs, elles participent ainsi à ce que Teubner désigne sous le terme de « constitution sociale du monde ». Cependant, des pays en développement considèrent avoir beaucoup à perdre dans ce processus de remise en cause, au nom de la protection des fragiles équilibres environnementaux, de l’activité extractive sur leur territoire. En effet, et par définition, ces secteurs touchent directement à l’extraction de la rente qui peut constituer une ressource financière essentielle au budget du pays, et/ou cruciale pour l’enrichissement de l’élite au pouvoir. Stratégique pour les pays dotés de ces ressources, la rente liée aux industries extractives est tout à la fois porteuse d’inégalités, de croissance et de développement économique. L’étude des stratégies des entreprises ou de la structuration/ restructuration du secteur doit s’accompagner d’une prise en compte de son volet politique. Enfin, les ressources minières, de plus en plus convoitées, constituent des enjeux stratégiques essentiels pour les relations internationales. La présence de la Chine sur le front minier en Asie du Sud-est est certes une présence historiquement première dans le développement de ce secteur, mais dans le cadre de la montée en puissance chinoise contemporaine, elle prend aujourd’hui de nouveaux contours et appelle une étude économique et juridique plus précise de cette implication, de ses vecteurs, de ses négociations (contrats miniers), et de ses effets (en Malaisie et au Vietnam notamment).
L’importance sociale de ce champ scientifique est immense : à la sources de la majorité des conflits armés dans le monde, moteur de la croissance économique, il est depuis toujours l’enjeu de luttes géostratégiques pour la maitrise des ressources essentielles à l’économie et à la défense. Mais à ce titre, les industries extractives heurtent les populations locales qui vivent sur les lieux d’extraction, et qui, comme en France, commencent désormais à refuser l’exploitation des projets qui pourtant pourraient en ce cas assurer l’indépendance nationale en terres rares par exemple. C’est que la mine est un fait social total et global où peuvent se lire toutes les facettes d’une société, désormais globalisée : ces industries sont aujourd’hui l’enjeu essentiel de la transition écologique, et démocratique de nos sociétés, la transition écologique et climatique ne pouvant résulter que de la transition des industries extractives.
Ce projet de recherche part de l’hypothèse générale que de nouveaux modèles sont entrain de se dessiner dans le domaine des industries extractives sous l’effet de la diffusion de l’impératif de soutenabilité. Le corolaire immédiat en est que ces modèles tendraient à différer selon les secteurs. Il convient dès lors d’en étudier la diversité pour mettre en évidence des sous-modèles, associés notamment aux législations minières des pays. Un champ social institutionnel renouvelé est nécessaire pour réaliser un tel travail, réclamant ainsi la création d’un réseau scientifique et d’une école doctorale thématique internationale. Des thèmes de recherche d’une importances plus singulière seront identifiés et développés, tels la régulation de la chaîne de valeur ; les liens géologie-hydrologie-chimie et sciences sociales ; le renouveau minier en Asie du sud-est, l’évaluation carbone, l’acceptabilité sociale, les terres rares, la démocratie extractive, la compensation et les green/blue bonds décarbonnés, etc.